Le niveau d’aide informelle est aussi à prendre en compte tant elle est déterminante dans le mode de vie des personnes âgées, fragilisées notamment. Dès lors, il est essentiel d’envisager quelle sera l’intensité quantitative et qualitative de l’implication des aidants à l’horizon 2030. Un débat existe et des analyses contradictoires sont aujourd’hui versées au débat public, tant l’incertitude est grande sur l’influence conjuguée de plusieurs tendances.
Comme le souligne Dominique Gillot, ancienne ministre et présidente du Comité National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) dans un rapport remis à la Ministre du Travail et à la Ministre de la santé et des solidarités le 20 juin 2018, les aidants sont « une réalité disparate et difficile à appréhender faute de statistiques récentes consolidées ». Pourtant, la question des aidants est devenue une question politique vécue comme telle par les parlementaires qui l’ont abordée pour la première fois dans la loi « ASV » de 2015 comme par les organismes de protection sociale qui y consacrent désormais nombre de colloques.
Une étude de la DREES en 2008 estimait à 3,6 millions le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans qui bénéficiaient d’une aide informelle. On connaît leur profil : ils sont souvent eux-mêmes retraités (34% des aidants sont eux-mêmes âgés de plus de 60 ans) et sont majoritairement des aidantes, 57% étant des femmes. Enfin une estimation d’économistes a valorisé de 12 à 16 milliards d’euros l’activité d’aide informelle.
Le vieillissement de la population questionne évidemment sur le niveau d’aides attendus à l’avenir : y aura-t-il diminution du soutien familial ? A l’horizon 2030, selon le modèle de simulation de l’INSEE et contrairement à une idée souvent répandue, les personnes âgées en perte d’autonomie auront un entourage familial plus soutenu qu’aujourd’hui (entendu comme présence d’un conjoint et d’enfants).
Ce qui milite d’abord en faveur de cette hypothèse, c’est la moindre probabilité d’être privé de conjoint par veuvage. En effet, en raison de la réduction de l’écart d’espérance de vie entre hommes et femmes, 13% seulement des hommes de 75-84 ans seront veufs en 2030 contre 21% en 2010. Cette tendance semble l’emporter sur les deux autres tendances susceptibles de tarir le potentiel d’aidants (l’augmentation des divorces et la réduction du nombre d’enfants par couple). Mais dans le même temps, l’élévation de l’âge moyen des personnes âgées dépendantes réduit la probabilité d’avoir un aidant survivant. Quant aux phénomènes d’unions successives et de recomposition familiale, ils pourraient très bien a contrario compenser les effets de l’envolée des divorces chez les seniors… En 2015, 20.000 couples de seniors ont divorcé : deux fois plus que 10 ans auparavant. Sans oublier la part des personnes âgées qui n’ont jamais eu ou n’ont plus ni enfant, ni conjoint valide qui représente 11% des hommes et 17% des femmes de plus de 80 ans.
Deux autres curseurs, l’augmentation du taux d’emploi des femmes et l’éloignement géographique des enfants vis-à-vis de leurs parents, ont pu aussi être mis en avant dans plusieurs études pour étayer la baisse attendue du soutien familial.
Mais là aussi, l’évolution des comportements, sous le prisme de mécanismes de compensation (présentés notamment dans une étude pour la fondation Médéric en 2016 à partir de l’enquête Handicap-Santé Ménages conduite par l’INSEE et la DREES en 2008) tempère cette lecture : la moindre implication de l’un des frères ou sœurs (pour cause d’éloignement géographique ou d’activité professionnelle) est partiellement compensée par une implication plus forte de l’autre frère ou sœur, et en cas d’enfant unique, celui-ci s’implique davantage qu’il ne l’aurait fait dans le cadre d’une fratrie. Les auteurs de l’étude concluent d’ailleurs en « invitant à prendre en compte ces mécanismes de compensation dans les prochains exercices de projections de l’aide informelle, au risque sinon de dresser un panorama inutilement alarmiste sur la diminution de l’implication familiale dans la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées ». Analysée ainsi, la diminution du nombre d’enfants par couple de personnes âgées pourrait donc ne pas avoir l’incidence néfaste qu’on pense.
D’autres études complètent parfois de manière divergente ces analyses. Elles pointent alors l’accroissement de la part de personnes dépendantes très âgées et le plus grand nombre de couples dont les deux membres sont en situation de perte d’autonomie, rendant impossible l’aide informelle intra-couple.
Enfin, alors que les femmes sont aujourd’hui en première ligne dans l’offre d’aide informelle, qu’il s’agisse des filles (75% des situations d’aide à un parent) ou des conjointes (70% des situations d’aide au conjoint), la réduction de l’écart d’espérance de vie conduira à une plus grande proportion d’aidants masculins. Or, ces derniers, à niveau de dépendance équivalent du conjoint, ont tendance à faire plus appel à une aide professionnelle. A ces trois tendances, on peut aussi ajouter une préférence naissante des nouvelles générations de personnes âgées pour un recours à des aides professionnelles (établissements et services) afin de ne pas « être une charge » pour leurs enfants. Tous ces facteurs ne manqueront pas in fine et en dépit d’un soutien familial qui pourrait demeurer à un niveau comparable à aujourd’hui, d’accroître la demande d’aide formelle et professionnelle.
Source : LES PERSONNES ÂGEES EN 2030
État de santé, démographie, revenus, territoires, modes de vie : portrait-robot de la génération qui vient
Auteurs : Jérôme GUEDJ – Luc BROUSSY – Anna KUHN LAFONT