Ces difficultés d’appréhension ont conduit à la formulation de 3 scénarios de projection de la dépendance. Le scénario intermédiaire (hypothèse d’un partage équivalent des gains d’espérance de vie entre espérance de vie sans dépendance ou avec dépendance) projette un doublement
du nombre de personnes âgées dépendantes entre aujourd’hui et 2060 mais avec un rythme différent par quinzaine d’années : + 317.000 entre 2015 et 2030, + 544.000 entre 2030 et 2045 et + 311.000 entre 2045 et 2060. Une évolution qui confirme que le « pic » de progression du
nombre de personnes âgées dépendantes se situera bien entre 2030 et 2045, années correspondant au baby-boom des années 1945-1960.
A horizon 2030, le « delta » entre les hypothèses haute et basse n’est que de 280.000 ce qui donnerait un nombre de personnes âgées dépendantes situé entre 1,43 et 1,71 millions, soit une évolution par rapport à 2018 située entre + 200.000 et + 410.000. Toutefois, si on décide, réflexe raisonnable, de prendre en compte le scénario « central », on peut considérer la progression de personnes âgées dépendantes entre 2018 et 2030 à + 300.000 personnes, soit + 220.000 GIR 3/4 et + 80.000 GIR 1/2.
Peut-on traduire ces évolutions en « nombre de résidents en Ehpad » ? L’INSEE et la DREES se sont prêtés à l’exercice en 2011 partant d’une base de 500.000 résidents situés en GIR 1 à 4. A horizon 2030, le nombre de places supplémentaires nécessaires oscillerait donc, selon les versions, entre 80.000 et 140.000.
Les profils des personnes âgées dépendantes et des conditions de leur prise en charge évolueront également, comme tendent à le démontrer les projections nationales de dépendance (au sens de la grille AGGIR). Nous retenons de celles-ci :
- On sera dépendant en moyenne de plus en plus tard même si les chiffres actuellement produits (84 ans en 2010, 85 ans estimé en 2030, 86 ans en 2060) ne montrent pas une évolution très significative.
- On devrait être dépendant un peu plus longtemps en moyenne (de 3 ans actuellement à 4 ans)
- Sauf effort mené d’ici là, les patients resteront polymédiqués (actuellement, plus de 8 pathologies pour un résident GIR 1-2, plus de 7 pour un résident GIR 3-4)
- La perte d’autonomie demeurera un sujet essentiellement féminin malgré une légère baisse (74% en 2010, 72% en 2030)
- La répartition des GIR demeurerait globalement inchangée en 2030 (35% GIR 1-2 et 26,5% GIR 3-4) ;
En revanche, une interrogation déterminante demeure sur la répartition domicile / établissement. Actuellement 59% des bénéficiaires de l’APA vivent à domicile et 41% en établissement. Si les volontés affichées de longue date de favoriser le maintien à domicile, combinée à la volonté exprimée par les personnes âgées de rester chez elles trouvaient une déclinaison opérationnelle effective, aboutissant, via des mécanismes incitatifs ou coercitifs (régulation forte de l’offre), à un transfert de 10 points des établissements vers le domicile (soit 70%/30%), une telle évolution aboutirait en 2030 à des niveaux de bénéficiaires de l’APA en EHPAD très inférieurs aux capacités ouvertes actuellement (610.000 places en EHPAD en 2016) : 465.000 places d’EHPAD suffiraient dans le scénario central en 2030, 510.000 dans le scénario pessimiste, 420.000 dans le scénario optimiste. La formulation de cette hypothèse illustre la difficulté, et le caractère très incertain des projections de besoins faites à partir d’une extrapolation linéaire (combien faudrait-il de places pour maintenir le taux d’équipement actuel ?). Surtout, une telle hypothèse reflète combien les frontières domicile/établissement sont amenées à s’estomper : la médicalisation accrue du soutien à domicile qu’une telle évolution nécessiterait ne manquerait pas de s’appuyer sur des modèles type plateforme ou EHPAD à domicile.
Source : LES PERSONNES ÂGEES EN 2030
État de santé, démographie, revenus, territoires, modes de vie : portrait-robot de la génération qui vient
Auteurs : Jérôme GUEDJ – Luc BROUSSY – Anna KUHN LAFONT