L’augmentation quantitative de la population âgée est un phénomène connu et identifié par tous depuis longtemps. Elle repose d’abord et avant tout sur l’augmentation continue (mais jusqu’où ?) de l’espérance de vie.
Mais le vieillissement n’est pas un phénomène uniforme. On peut en effet considérer schématiquement 3 types de vieillesse, chaque stade ne correspondant évidemment pas à des limites d’âge identiques pour tous. Seule certitude : dans les années à venir, une triple massification va s’opérer :
- celle, évidente, du nombre de personnes âgées dans leur ensemble : c’est l’effet démographique
- celle, prévisible, du nombre de personnes âgées dépendantes : c’est l’effet épidémiologique
- celle, moins visible, aux contours plus flous mais aux enjeux essentiels, du nombre de personnes âgées en fragilité, c’est-à-dire dans un moment dont la réversibilité est possible et doit être recherchée.
L’allongement de l’espérance de vie va se traduire d’ici 2030, et plus encore après, par une très forte gérontocroissance, soit une hausse quantitative de l’ensemble des personnes âgées.
L’allongement de l’espérance de vie : jusqu’où ?
Vieillir est encore le seul moyen qu’on ait trouvé de vivre longtemps » écrivait Sainte-Beuve.
27 ans en 1750, 37 ans en 1810, 47 en 1900, 57 en 1930, 67 en 1955, 82,8 en 2018 : il en va de l’espérance de vie comme des records du monde du 100m, à chaque fois qu’on pense avoir atteint une limite, elle est aussitôt dépassée. Longtemps, les gains d’espérance de vie ont été dus à la diminution de la mortalité infantile (le taux de mortalité infantile dans la 1ère année était de 51/1000 en 1950, de 18/1000 en 1970 et de 4/1000 en 2017). Ce n’est bien évidemment plus cette dynamique qui explique aujourd’hui l’augmentation continue de l’espérance de vie de l’ordre de 3 mois par an mais bien la baisse de la mortalité des adultes, particulièrement aux âges avancés.
Jusqu’à récemment, la conviction était établie qu’un plafond biologique rendrait impossible une croissance continue de l’espérance de vie. A tel point que, comme le rappelle le démographe Gilles Pison, l’INSEE, dans ses projections réalisées dans les décennies 70 et 80, avait intégré
ce plafonnement. Qui sera à chaque fois démenti par les faits. La projection faite en 1979 tablait ainsi sur un plafonnement de l’espérance de vie en 2000 à 73,8 ans quand ce niveau sera en réalité atteint dès les années 1980. Désormais, les prévisions ont abandonné l’idée de plafonnement et cherchent à anticiper les succès de la lutte contre la mortalité des personnes âgées.
Car après un recul de la mortalité liée aux maladies infectieuses, c’est désormais grâce aux progrès enregistrés ces 30 dernières années dans la lutte contre la mortalité liée aux maladies cardio-vasculaires et aux cancers (prévention, dépistage, traitement) que la mortalité des adultes,
et notamment des plus âgés a pu baisser significativement, permettant l’allongement de l’espérance de vie. L’INSEE, dans son scénario central à l’horizon 2070, table dès lors sur une espérance de vie à la naissance de 93 ans pour les femmes et de 90 ans pour les hommes. Convenons
que nous ne sommes pas là dans un exercice de science-fiction : car ces projections d’espérance de vie en 2070 s’appliquent aux jeunes quadragénaires, celles et ceux nés à la fin des années 70 et auxquels l’INSEE prête donc des espérances de vivre au-delà de 90 ans.
Cette révolution de la longévité s’illustre plus encore dans les espérances de vie à 60 et 80 ans. En 2030, une femme de 60 ans aura alors une espérance de vie de 29,2 ans (soit + 1,8 ans par rapport à aujourd’hui) et un homme de 60 ans de 25,2 ans (+ 2 ans). Quant à l’espérance de vie à 80 ans, elle sera de 9 ans environ.
Ces progrès ne doivent pas masquer les profondes inégalités en fonction de la géographie ou du niveau de revenu qui demeurent face à l’espérance de vie ; des inégalités qui atteignent aujourd’hui jusqu’à 12 ans d’écart entre les 5% des personnes âgées les plus riches et les 5% les plus pauvres.
On entend par ailleurs ici ou là poindre un débat sur les dangers non plus d’un ralentissement mais bien d’une diminution de l’espérance de vie. Un argument qui prend sa source dans les statistiques de l’année 2015 où l’INSEE a enregistré une baisse exceptionnelle de l’espérance de vie des hommes et des femmes due à la conjonction d’une durée particulièrement longue de l’épidémie de grippe et d’un épisode caniculaire. Mais aussitôt après, les gains d’espérance de vie ont repris leur rythme de progression.
Une forte gérontocroissance à l’horizon 2030
A l’orée de l’évolution démographique qui se dessine en France dans les 30 prochaines années, deux dangers se font face : celui du catastrophisme éculé comme celui de l’indifférence coupable. Les chiffres sont ce qu’ils sont et peu d’incertitudes pèsent sur ce que sera la structure de la population dans 20 ou 30 ans. Ils constituent un enjeu qu’il serait dangereux de ne pas anticiper ; mais ils ne sont pas, loin s’en faut, annonciateurs de l’Apocalypse.
Le graphique ci-contre montre ainsi sans ambiguïtés que la période 2025 – 2030 marquera un véritable tournant comme la France n’en a jamais connu. L’augmentation aussi soudaine que brutale du nombre des plus de 80 ans à partir de 2025 puis du nombre des plus de 85 ans à partir de 2030 s’apparente à un défi auquel nos sociétés n’ont jamais eu à faire face jusqu’ici. Cette vague massive a métaphoriquement donné lieu à toute une série d’expressions aussi dépréciatives qu’anxiogènes : du « tsunami gris » au « papy-krach » en passant par « l’hiver démographique ».
L’année 2030 sera en effet porteuse d’un symbole fort : pour la première fois dans l’histoire démographique de la France, les « plus de 65 ans » seront plus nombreux que les « moins de 20 ans ». Les personnes âgées de 65 ans et plus, qui représentaient 13% de la population française en
1990 et 19,6% aujourd’hui, constitueront 23,4% de la population en 2030 tandis que les moins de 20 ans représenteront alors 23% de la population.
Mais dans les 20 ans qui viennent, ce vieillissement de la population française prendra une forme toute particulière : celle de l’explosion…des plus âgés. Comme le montre le tableau ci-dessus, pendant que la population française augmentera de 7,7% d’ici 2040 les plus de 65 ans augmenteront certes de 45%. Mais les plus de 80 ans de 72% et les centenaires de 314%…
La pyramide des âges projetée à 2030 montre bien d’ailleurs que l’évolution des « plus de 60 ans » va connaître une brusque décrue à partir de 2030-2035 puisqu’arriveront à cet âge-là les premières générations de l’après-baby-boom, celles nées après les années 60. Mais dans
le même moment, les « plus de 80 ans » vont exploser puisqu’il s’agit des générations du baby-boom nées à partir de 1945.
Il n’est pas inutile non plus d’établir une distinction entre les « plus de 80 ans », âge moyen d’entrée dans une Résidences Services Seniors et les « plus de 85 ans », âge moyen d’entrée en Ehpad. Nous y reviendrons plus loin.
Comme il est nécessaire dès maintenant, et au vu des débats législatifs qui se préparent, de distinguer l’évolution des plus de 85 ans entre la période 2018-2030 (+20%) et la période 2030-2040 (+ 50%). Il est donc entendu que l’enjeu massif se situe à partir de 2030. Mais on ne peut pas
non plus oublier que la France a déjà géré dans les 15 dernières années une situation à peu près semblable puisque la gérontocroissance y a été remarquable sur la période 2005-2018 avec une population de 85 ans et plus qui est passée de 1,5 million en 2005, à 1,8 million en 2013 et 2,1
millions en 2018. Soit une hausse de 40% en 15 ans.
Source : LES PERSONNES ÂGEES EN 2030
État de santé, démographie, revenus, territoires, modes de vie : portrait-robot de la génération qui vient
Auteurs : Jérôme GUEDJ – Luc BROUSSY – Anna KUHN LAFONT