Autant les données démographiques, épidémiologiques ou de revenus peuvent s’illustrer, de façon plus ou moins précise, par des statistiques chiffrées. Autant les éléments de nature sociologique sont compliqués à objectiver, a fortiori de manière prospective.
Pourtant, les caractéristiques sociologiques des seniors de 2030 seront déterminantes pour comprendre ce que seront leurs besoins, leurs aspirations, leurs envies, leur façon de consommer. En 2030, la génération des premiers baby-boomers parviendra à l’âge de 85 ans. Il est fort à parier que ces personnes âgées-là n’auront pas les mêmes réflexes que leurs parents nés avant-guerre. Ils ont potentiellement la capacité de changer totalement la façon d’appréhender la prise en charge du vieillissement.
PAPYBOOMERS : UNE GÉNÉRATION À PART
Avoir 85 ans en 2030, c’est avoir eu 20 ans en 1965.
Cette génération aura été biberonnée par les valeurs de liberté et d’autonomie. Elle aura lancé le consumérisme. Elle est consciente et jalouse de ses droits. Elle veut, enfin, maîtriser son destin. Mais cette génération est également impactée par les évolutions que connaît notre société depuis 10 ans. Elle est connectée. Elle est accrochée à son smart-phone. Elle est aussi poreuse aux nouvelles formes « d’uberisation » où l’usage prime sur la propriété (13% des hôtes d’Air Bnb sont des seniors). Son rapport à la consommation, au patrimoine, à la mobilité, aux technologies, à la conception même de ce qu’est un « domicile » va forcément impacter toutes celles et tous ceux qui auront, demain, à prendre en charge sa fragilité.
Dès aujourd’hui, ces « soixante huitards » âgés de 75 ans environ sont de plus en plus nombreux. Mais le nombre ne doit pas masquer la singularité de leur parcours de vie, de leur situation sociale, de leur environnement familial, de leur trajectoire professionnelle, tout au long des Trente Glorieuses, puis avec l’apparition d’un chômage de masse. Dans une période marquée par l’émergence des aspirations individualistes et durant laquelle les grands récits et appartenances collectives ont pu s’émousser, allons-nous vivre une révolution sociologique avec l’arrivée au grand âge de la génération des baby-boomers, dont la grande diversité des profils et des situations est imparfaitement contenue dans cette appellation générique ? Leurs valeurs, leurs modes de vie passés, leurs niveaux de revenus et de patrimoine et les effets de génération conditionneront la nature de leurs attentes, en les arrimant à leur statut social et culturel antérieur : ils seront moins catégorisables « vieux » que dépositaires de leur histoire passée, qu’ils poursuivront avec l’avancée en âge.
Une volonté manifeste de poursuivre le mouvement d’autonomie résidentielle constatée ces 30 dernières années
En 2011, 7 personnes âgées de plus de 85 ans sur 10, contre 1 sur 2 en 1982, vieillissaient chez elles, seules ou en couple. Sur la même période, la cohabitation avec des proches (les enfants dans 63% des cas) a été divisée par 3, passant de 31% à 11%. Elle est toutefois fortement contrastée
selon les territoires, la cohabitation multigénérationnelle concernant 28% des plus de 85 ans en Corse ou environ 15% dans le Sud Ouest, mais moins de 10% dans le Loir-et-Cher, la Mayenne ou encore la Sarthe.
Cette croissance de l’autonomie résidentielle aux grands âges s’inscrit dans un mouvement qui combine un plus fort désir d’indépendance, l’évolution des relations familiales, l’amélioration de la situation économique des personnes âgées et une meilleure prise en charge de l’autonomie à domicile. Sans prendre trop de risques, il est probable que ces trois tendances se confirment, voire s’amplifient à l’avenir, notamment le désir d’autonomie (« ne pas peser sur ses enfants » autant que « conserver son indépendance et son chez-soi »).
On retrouve sans surprise ici l’élément central et constant de toutes les enquêtes d’opinion sur le vieillissement : la volonté clairement affirmée (autour de 90%) de pouvoir demeurer à son domicile le plus longtemps possible. Les personnes âgées y sont attachées. D’abord car elles sont plus souvent propriétaires que la moyenne des Français. Elles sont également moins enclines à déménager, même si plus de 20% peuvent l’envisager. Ensuite car les enquêtes sur les conditions de vie indiquent que leurs conditions de logement sont plus favorables, notamment avec des logements plus spacieux (après la décohabitation des enfants) et un niveau d’équipement des ménages âgées désormais comparable à celui de l’ensemble des Français.
Toutefois, la prise de conscience des conséquences possibles du vieillissement, et notamment les inquiétudes liées à la perte d’autonomie font imperceptiblement évoluer le rapport à la notion de domicile. La nécessité de devoir l’adapter est certes de plus en plus admise, mais peu suivie d’effet (les logiques d’anticipation et d’adaptation butent sur une forme d’évitement personnel, et moins de 7% des logements sont adaptés). Mais au fil du temps, la notion de domicile, jusque-là entendue comme le domicile originel, celui où l’on habitait depuis toujours, et notamment avant que ne surviennent les éventuels signes de fragilité ou de perte d’autonomie, a pu se diversifier. On observe déjà dans la plupart des grandes capitales régionales un mouvement de migration vers le centre-ville : des seniors vendent leur pavillon en péri-urbain au bénéfice de l’achat voire de la location d’un immeuble en cœur de ville facilitant ainsi l’accès aux commerces et aux services publics.
C’est à l’aune de cette évolution qu’il faut interpréter le boom des résidences seniors tel qu’on le constate depuis quelques années (on compte aujourd’hui en France environ 600 résidences de ce type) ou le regain d’intérêt pour les logements-foyers rebaptisés résidences autonomie. Les solutions alternatives (béguinages, domiciles collectifs, habitats groupés…) demeurent toutefois aujourd’hui marginales. Rien ne dit pour autant qu’elles ne se développeront pas dans la décennie à venir. Mais les 110.000 personnes âgées hébergées en résidences autonomie, les 54.000 hébergées en RSS ou les 10.000 personnes ayant choisi d’autres formes d’habitat (accueil familial et colocations pour moins de 10.000 personnes) forment un public encore très limité au regard des 2 millions de personnes âgées de 85 ans.
Source : LES PERSONNES ÂGEES EN 2030
État de santé, démographie, revenus, territoires, modes de vie : portrait-robot de la génération qui vient
Auteurs : Jérôme GUEDJ – Luc BROUSSY – Anna KUHN LAFONT